15 août 2017

Enseignant et Bienveillance

Un dernier cocktail pour démarrer la rentrée
Nous ne sommes pas en classe pour aimer nos élèves ni pour y être aimés… et pourtant je n’ai jamais aussi bien travaillé qu’avec des enseignants avec qui le feeling passait bien. Ce devait être en fait des enseignants fort bienveillants avec moi et mes camarades.
Bienveillance est le mot à la mode et pourtant il n’est pas si jeune que cela. Qu’entend-on vraiment par ce mot ? En quoi est-il essentiel pour enseigner aujourd’hui ? Pourquoi est-il important dans une culture numérique ? Comment faire en classe pour à la fois prendre une posture bienveillante consciemment et permettre à nos élèves de l’acquérir ?
Voici les questions que je me suis posées à la lecture de plusieurs ouvrages et en particulier l’ouvrage du Docteur Philippe Rodet et Yves Desjacques, Le management bienveillant. En effet, je pars ici du postulat que ce qui vaut pour un manager vaut pour un enseignant et un élève.

Alors qu’entend-on par bienveillance ? Don Jean-Rémi Lanavère* propose une définition au travers l’analyse de trois philosophes que sont Aristote, Saint Thomas d’Aquin et Kant.
un regard
Pour Aristote, la bienveillance est d’abord un regard sur la personne. C’est souhaiter gratuitement du bien aux autres, et cette attitude se fonde sur une certaine manière de voir les autres.
une volonté active
Saint Thomas d’Aquin explique qu’il s’agit d’un acte et non pas un simple sentiment. Il s’agit bien d’une volonté d’agir pour le bien d’autrui - de l’aimer au sens propre du terme.
une exigence
Et c’est une exigence qui s’adresse à notre raison d’après Kant. C’est un “devoir d’humanité”, indépendant des variations de notre humeur et du caractère inévitablement sélectif de nos affinités.
Amour, amitié, bienveillance
Pour nos philosophes, la bienveillance est le fondement de l’amitié et de l’amour. Il n’y a pas pour la bienveillance de considération affective.


Bienveillance une exigence professionnelle

Quelle doit être la posture d’un enseignant bienveillant vis-à-vis de ses élèves ? Don Pascal-André Dumont* distingue six éléments que voici.
responsable
L’enseignant a une responsabilité avec une dimension créatrice et qui implique de sa part un engagement à la bienveillance. Un enseignant doit s’affirmer comme bienveillant pour commencer à l’être.
respectueux de la liberté
Il respecte la liberté de la personne humaine au sens large. Il est capable de discerner sur le vrai bien de la personne humaine et sur la manière respectueuse d’y contribuer sans paternalisme ou maternalisme et encore moins le copinage.
confiance
Il sait donner sa confiance sans d’autres récompenses que celle de l’avoir donnée. Il prend le risque qu’elle soit trahie.
patience
Apprendre demande du temps. Il sait donner le temps au temps, car il sait que rien, sans temps, ne résiste au temps.
soutien
Il donne à ses élèves non seulement les moyens matériels pour apprendre, mais aussi le soutien humain, psychologique et moral dont ils ont besoin.
pardon
Il apporte à ses élèves reconnaissance et gratitude dans la réussite et, en cas d’échec, les moyens de la relecture et du rebond.


Ce qu’apporte un enseignant bienveillant

estime de soi
C’est le premier bienfait de la bienveillance d’un enseignant sur ses élèves. Ils se sentent reconnus et valorisés par le regard de leur enseignant.
confiance en soi
L’estime de soi conduit à la confiance en soi. Un vrai regard qui s’appuie sur des faits est un puissant pilier des actes ultérieurs que poseront les élèves dans leur engagement dans leur apprentissage.
responsabilisation
Confiants, les élèves accèdent plus facilement à l’autonomie - capacité des élèves à assumer une responsabilité. Cette responsabilité oriente vers une finalité, donne du sens à la vie. Elle permet d’agir sur son environnement pour apprendre.
don de soi
La responsabilisation déclenche un don de soi entier. Tout de soi aura de la valeur en toutes circonstances.
participation
L’élève perçoit que par son don de lui-même, il participe à un bien commun, à une finalité qui a du sens. Cela lui donne une place d’acteur dans la vie de l’école et de la classe. Cela n’empêche pas l’échec, mais l’élève trouvera dans la bienveillance de son enseignant un chemin pour continuer à avancer et progresser.


L’échec n’existe pas.
Soit on réussit,
soit on apprend !
bonheur
Le bonheur et l’épanouissement de l’élève restent une dimension importante de la finalité du travail. C’est d’autant plus important quand ce travail demande labeur et effort. Des élèves heureux font un enseignant heureux - CQFD.

Oui, mais comment faire ?

Alors il ne s’agit pas ici de faire une liste exhaustive (je compte sur vos commentaires pour cela) mais de présenter quelques exemples d’activités pour permettre aux élèves d’être bienveillants en en comprenant le sens.
Pour démarrer une réflexion avec les élèves, on pourra utiliser l'image des deux pommes et le jeu pour penser positif.
regard
  • Le temps des félicitations : Une fois par semaine, le représentant de classe ouvre la boîte à félicitations dans laquelle se trouvent les papiers sur lesquels les élèves ont noté une bonne action menée par un camarade envers un autre camarade.
  • Ecrire un petit mot (écrit par l’enseignant) pour chacun des élèves pour reconnaitre un bon et bel acte observé en classe.
  • Organiser des jeux coopératifs en mettant les enfants dans des situations de handicap.
exigence
  • Le règlement de classe : inscrire dans le règlement de la classe “Etre bienveillant” tout simplement, enfin après avoir travaillé ce mot avec les élèves.
  • Créer des conseils coopératifs
  • Le principe des trois tamis : "Les trois tamis de la communication sont attribués à Socrate. Passer nos remarques, nos demandes ou nos conseils au travers de ces tamis peut nous aider à adopter un langage valorisant et non violent. Les enfants pourront également adopter ces trois tamis afin d’assurer des échanges constructifs entre eux et avec les adultes." Ce que je vais dire est-il vrai, bon et utile ?
volonté active
  • Développer l’empathie chez les élèves avec Le « jeu des mousquetaires »
  • Le Jeu des Trois Figures est une activité théâtrale que j’ai imaginé en 2006 pour développer l’empathie de la maternelle au collège et réduire la violence. Il est appelé ainsi en référence aux trois personnages de l’agresseur, de la victime et du tiers, que celui-ci soit simple témoin, redresseur de torts ou sauveteur. Il est maintenant présent dans de nombreuses écoles maternelles et élémentaires, et dans quelques collèges.
  • NousVousIls, Méditer à l’école, pour mieux apprendre ? une solution pour mieux se concentrer, gérer ses émotions, et finalement, mieux apprendre ? De plus en plus d’enseignants se lancent dans la méditation de pleine conscience, ou mindfulness.
  • Le jeu du veilleur bienfaisant invisible : Au début d’une période déterminée (semaine par exemple), tous les enfants reçoivent une enveloppe mystère différente qui contient le nom d’un autre enfant sur lequel ils sont chargés de veiller. Ce jeu part du principe que tous les enfants sont capables de faire preuve d’altruisme et d’empathie à partir du moment où l’environnement le leur permet. Le but du jeu est d’être à la fois suffisamment discret dans les bonnes actions, dans les encouragements, dans les sollicitudes pour ne pas être démasqué et suffisamment présent pour être un ange gardien efficace. Un débriefe est réaliser en fin de période pour connaître le retour des enfants : Selon toi, qui était ton veilleur bienfaisant ? Comment vous y êtes vous pris pour rester invisible ? Qu’avez-vous ressenti au cours de cette période ?


Et le numérique dans tout cela ?

Bon si vous me lisez de temps à autre, vous vous demandez peut-être pourquoi je ne vous ai pas parlé de numérique. Et bien détrompez-vous !
Notre monde d’aujourd’hui et de demain est en pleine mutation. Certains y voient de nombreux avantages et d’autres de terribles conséquences. Le tout sera probablement mélangé. Et bien la question “Quelle personne humaine souhaitons-nous ?” a toute son importance.

Le numérique à l’école doit mener vers plus d’humanité (collaboration…) et de responsabilité (partage...). Je vais laisser Michel Guillou définir le numérique :
"Le numérique, ce sont des valeurs et des attitudes nouvellement renforcées, celles du partage, de la connivence, de la collaboration, de l’amitié, du désir, de la responsabilité, de l’écoute de l’autre, de l’attention à ses préoccupations, de la tolérance… Ce sont encore des libertés, celles de l’expression et de l’opinion, de la création, du choix et des orientations, de nouvelles navigations possibles… Ce sont des droits et des devoirs, de la culture, de la raison..."
 et j'ajouterai que le numérique sera meilleur s'il est fait d'hommes et de femmes bienveillants.

Somme toute

Voici quelques éléments de réflexion que je souhaitais partager avec vous. Et les chefs d’établissement, les inspecteurs… Et bien, remplacer, dans les paragraphes ci-dessus, “enseignant” par “directeur” et “élève” par “enseignant” et vous obtiendrez votre réponse !


Merci

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A voir sur le web :

    • Marshall Rosenberg, Eduquer sans récompense ni punition Communication Non Violente, 1h58





    A lire :


    • Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, Les Arènes, Paris, 2016
    • Docteur Philippe Rodet, Yves Desjacques, Le management bienveillant, Eyrolles, Paris, 2017
    • Carl Rogers, être vraiment soi-même: l'approche centrée sur la personne, Eyrolles, Paris, 2012
    • Yviane Rouiller, Jim Howden, La pédagogie coopérative, Reflets de pratiques et approfondissements, La Chenelière, 2009
    • Ostiane Mathon, Réussir sa première classe, ESF, Paris, 2017
    • François Muller, Des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent : Le développement professionnel des enseignants, ESF, Paris, 2017

* Prêtre de la Communauté Saint Martin : http://www.communautesaintmartin.org/la-csm/maison-de-formation-don-louis-herve-guiny/

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